••• Qu’est-ce que le beau ? •••

Arthur Lieutenant (& Aurore Compère)

Alfred et Ron vivent en 2022 en Belgique. Alfred est un homme plutôt éduqué, de la classe moyenne. Il a récemment été licencié de son emploi de directeur d’un magasin. Ron est un homme plus jeune, qui étudie la psychologie. Ils discutaient de ce qu’ils allaient manger pour le dîner et en marchant dans la rue ils croisent un panneau publicitaire. 

Alfred : – Waw, t’as vu la pub là ? Elle est trop belle ! 

Ron : – Je trouve pas ça super-beau.

Alfred : – Tu dis n’importe quoi, c’est super-beau, regarde comment la photo est super-bien prise, ça donne envie, c’est des belles couleurs, ça nous donne de la confiance à l’égard du produit. Ça donne envie de manger ces raviolis. 

Ron : – Tu trouves que ces raviolis donnent envie !? Tu crois qu’il suffit que la photo soit bien prise et les couleurs super pour qu’on trouve ça beau ? Tu sais, j’ai eu un cours de philosophie de l’art et Emmanuel Kant dit que le jugement esthétique doit être désintéressé. Toi, tu formules un jugement intéressé qui porte sur l’utilité de ces pâtes. Pas un jugement qui porte sur la beauté de la pub. 

Alfred : – Écoute, pour moi les raviolis de cette pub ont l’air bons. Et c’est mon avis. 

Ron : – Justement, un jugement esthétique ça dépasse ce que tu penses, ça dépasse un avis, ça tend vers l’universel. Ça veut dire que ça devrait pouvoir concerner tout le monde. 

Alfred : –  Je ne comprends pas ton charabia. On est en train de parler de raviolis d’une pub, je ne vois pas où tu veux en venir, crache ton morceau. 

Ron : – En gros, là où je veux t’emmener, c’est que si tu trouves une publicité belle, ne le dis pas à voix haute, garde-le pour toi, parce qu’il y a des gens autour de toi qui n’ont pas le même avis que toi. 

Alfred : – Si j’ai envie de le dire, rien ne m’en empêche. Je ne vais pas causer une catastrophe parce que je dis que les raviolis sont bons. Toi, en gros, ce que tu dis, c’est « les goûts et les couleurs ça ne se discute pas » ? 

Ron : – C’est pas du tout la même chose, il faut distinguer ce qui fait que tu aimes cette affiche de raviolis. Si c’est les couleurs et la photo, la façon dont la conserve a été placée sur le fond noir, l’ouverture de la boîte de raviolis, les quelques pâtes qui en sortent avec la sauce tomate d’un rouge brillant, l’orange de l’étiquette… alors on peut émettre un jugement de goût qui pourrait être partagé par tout le monde. Si tu parles des pâtes elles-mêmes, là c’est par rapport à ton propre goût, celui que tu sentirais dans ta bouche, la saveur de la pâte et de la sauce. Et ça donne un jugement d’agrément, qui est personnel, qui n’est pas universalisable. 

Alfred : – Tu sais, c’est pareil pour d’autres publicités. Regarde celle-là, pour le pantalon. Je ne le trouve pas forcément beau, mais ça me plairait quand même de le porter. 

Ron : – On pourrait dire qu’un pantalon ça n’a rien à voir avec des raviolis, parce que par exemple un pantalon ça ne se mange pas. Mais ce sont deux publicités et elles ont un point commun qui est qu’elles ont un aspect esthétique. Mais pas seulement. Elles sont aussi faites pour donner envie. Là où un tableau qui représenterait une boîte de raviolis, bien peinte, avec des couleurs harmonieuses, qui s’intègre bien au paysage peint derrière, ce tableau-là n’aurait pas été peint pour donner envie.

Alfred : – Oui, mais si je le vois en ayant faim, ça me donnera quand même envie de manger des raviolis. D’ailleurs voilà ce qu’on pourrait manger maintenant. 

Prolongements possibles :

  • Un personnages pourrait venir indiquer la contradiction entre ce que vient de dire Alfred (l'effet d'un objet dépend de l'état psychique et physique du specateur) et ce que disait Ron (l'effet d'un objet dépend de l'intention de son auteur). La discussion peut repartir là-dessus.

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