Lorsque quelqu’un.e vous porte un coup, vous ne restez pas là les bras ballants à rien faire. Vous réagissez. Eh bien quand quelqu’un.e vous lance un argument, vous devriez faire de même. Mais comment contre-argumenter ?
Dans les sports de combat (et on a vu avec Schopenhauer que l’argumentation en est un), il y a quatre grandes possibilités :
1) Les stratégies
Dans un débat, c’est dire « oui mais ». Tu ne trouves rien à redire à l’argument de l’autre, tu le laisses dire, et l’argument prend sa place. Simplement, toi, tu n’es pas impacté parce que tu te dérobes, tu pars ailleurs, sur autre chose.
Il y a des esquives meilleures que d’autres, selon ta rapidité de réaction. Parfois, tu ne vois pas le coup venir et tu ne bouges pas assez vite. Au lieu d’être KO, tu es un peu éraflé. Mais le coup est porté, et tu es un peu touché quand même.
Mais même si tu esquives tout à fait, que le poing de l’adversaire, la pointe de son épée, le bol de son pied, arrive dans le vide… Tu n’as ni bloqué son coup, ni su contre-attaquer. Il faut vite faire autre chose, si tu veux rester dans le jeu. Sinon, tu n’affaiblis pas l’adversaire… à moins que ta stratégie soit de le laisser s’épuiser en esquivant tous les arguments ?
Exemple 1 :
Thèse – La pub met en péril la sécurité des usagers, notamment en déconcentrant les automobilistes dont l’attention est sciemment happée par les publicités disposées en bord de route.
Esquive – Il y a d’autres choses que la publicité qui déconcentrent les automobilistes (le téléphone, les passagers, etc.).
Exemple 2 :
Thèse – L’homosexualité est contre-nature
Esquive – Beaucoup de choses qui ne sont pas naturelles, voire qui sont contre-nature par les effets qu’elles ont sur nous, sont considérées comme tout à fait normales dans notre société (les nouvelles techniques sont très polluantes et pourtant omniprésentes, nos corps pourtant faits pour courir 17km/jour ou marcher 24km/jour font « normalement » bien moins d’activité physique que ça… la liste pourrait être longue).
Dans une parade, on utilise l’énergie du coup de l’adversaire pour la détourner et le repousser. Mais on ne le place pas vraiment en mauvaise posture pour autant…
On ne s’empare pas vraiment de l’argument qui est porté. On le dévie, on le pousse sur le côté pour ne pas être touché. Plus efficace qu’une esquive, plus sûr.
Exemple 1 :
Thèse – La pub met en péril la sécurité des usagers de la voie publique, notamment en empiétant sur les trottoirs.
Parade – La majorité des publicités ce trouvent accrochées au mur ou même aux abords des autoroutes, donc ces panneaux publicitaire ne gênent pas la circulation des piétons, donc on ne peut pas dire que la totalité de la publicité est dangereuse pour les piétons.
Exemple 2 :
Thèse – L’homosexualité est contre-nature
Parade – C’est la société qui a voulu nous faire penser comme ça, nous imposer un idéal d’orientation sexuelle.
Saisir, c’est attraper l’adversaire et ne pas le laisser se dégager si facilement : une fois que vous le tenez, que vous avez saisi tel ou tel élément de son argument (un présupposé bancal, un mot maladroit, une généralisation hâtive, bref une faiblesse par laquelle vous le tenez), vous êtes en très bonne posture pour contre-attaquer. Qu’est-ce qui vous retient de prolonger votre mouvement et de lancer dans le même geste une bonne contre-attaque radicale ?
Exemple 2 :
Thèse – L’homosexualité est contre-nature !
Saisie – Elle est considérée comme contre-nature souvent à cause des religions et des préjugés. Beaucoup sont contre car ils écoutent la Bible.
Exemple 3 :
Thèse – Les personnes trans sont des malades mentaux
Saisie – La société actuelle pense que quand une personne est différente elle est forcément malade, mais la définition de ces maladies n’a rien de scientifique.
Exemple :
Thèse – L’homosexualité est contre-nature
Contre-attaque – Non, ça existe depuis toujours et partout, l’homosexualité, non seulement chez les humains (dans certaines cultures c’est toléré, comme chez les Grecs de l’Antiquité) mais également chez les animaux. C’est donc tout à fait présent dans la nature.
Contre-attaque – C’est dans notre nature, on ne choisit pas de qui on tombe amoureux·se.
Ces différents mouvements sont ceux qui restent dans le cadre du combat engagé. Il est toujours possible de sortir du cadre, mais on s’expose alors à des conséquences tout autre. On observe pourtant, dans les tentatives de contre-argumentation infructueuse, certains écueils qu’il est bon de connaître pour les éviter ou, à l’occasion, les appliquer – pour peu que leurs effets servent nos fins :
2) Les fuites
Certaines réponses sont tout simplement des façons de quitter le terrain. De déserter la question. Soit en parlant d’autre chose, soit en disant des banalités, soit en commettant des maladresses inratables pour l’adversaire, soit en se taisant tout à fait.
Exemple 1 : Thèse – Les transgenres sont des malades mentaux Le bâton pour se faire battre – Ils ne se sentent pas bien dans leur peau, c’est tout. Le bâton pour se faire battre – Ils sont juste différents, ils sortent des normes.
On a parfois tendance à répondre sans le moindre argument, en opposant à une thèse son antithèse, et en se contentant de la formuler. Comme s’il suffisait de dire le contraire pour avoir raison. Comme si dire « ben non » allait magiquement faire pencher la balance de votre côté.
Exemple :
Thèse – L’homosexualité est contre-nature
Antithèse – Les homosexuels ne sont pas contre-nature car justement c’est naturel d’aimer, que ce soit une personne du sexe opposé ou du même sexe.
Exemple :
Thèse – L’homosexualité est contre-nature !
Mousse – Ce sont des gens qui aiment une personne du sexe opposé, il n’y a rien d’anormal à ça.
3) La cour de récré
Certaines réponses sont dignes de la maternelle, cette époque où dans la cour de récré on vivait nos premiers conflits, l’occasion de tester nos frêles armes dialectiques. Sans bien nous en rendre compte, parvenu·e·s à l’âge adulte, il nous arrive de reproduire ces proto-stratégies, au demeurant fort faibles (d’autant qu’on joue dans la cour des grands, maintenant), mais dont il est difficile de nous départir tout à fait :
Exemple 1 :
Thèse – Les transgenres sont des malades mentaux
C’est cel·lui qui le dit qui l’est – Être transgenre est normal, les personnes qui pensent que ce sont des malades mentaux ont un problème.
On a parfois tendance à répondre sans le moindre argument, en opposant à une thèse son antithèse, et en se contentant de la formuler. Comme s’il suffisait de dire le contraire pour avoir raison. Comme si dire « ben non » allait magiquement faire pencher la balance de votre côté.
S’en suit alors un ping-pong potentiellement infini, l’autre rétorquant « ben si », vous « ben non » et ainsi de suite, événement amusant quelques secondes puis très vite lassant tant il est inutile de faire s’affronter ainsi une thèse contre une autre sans venir les étayer par des arguments.
Exemple :
Thèse – L’homosexualité est contre-nature
Antithèse – Les homosexuels ne sont pas contre-nature car justement c’est naturel d’aimer, que ce soit une personne du sexe opposé ou du même sexe.
Antithèse – Pour moi chacun a des sentiments et des goûts différents de chacun, les homosexuels sont des êtres humains normaux.
Exemple :
Thèse – L’homosexualité est contre-nature !
Mousse – Ce sont des gens qui aiment une personne du sexe opposé, il n’y a rien d’anormal à ça.