Des humains en cage ? – Les zoos humains

C’est un imaginaire particulier, celui de populations « sauvages », que rencontrent les européen·ne·s lors des expositions universelles et des expositions coloniales, où les nations mettent en scène leur puissance coloniale en exposant, dans ce qu’on appellera plus tard des « zoos humains », des personnes venues de terres lointaines, dans des mises en scène qui soulignent le côté exotique des mœurs de ces peuples.

Quelques affiches pour nous faire une idée de ce à quoi pouvaient ressembler ces expositions :

Images d'époque animées et commentées...

Quelques personnages

Le cannibale
Marius Kaloïe est kanak, il vient de Nouvelle Calédonie. Il a 21 ans quand il est exhibé dans un zoo humain, au jardin d'Acclimatation de Paris en 1931. Il y est présenté comme “sauvage polygame et cannibale”. Il doit s’exprimer en dialecte, alors qu’il parle français. Il doit danser, chanter, creuser de fausses pirogues, vivre dehors par tous temps, peu habillé, isolé, humilié.
Le pygmée
Ota Benga (1883-1916) est un Pygmée originaire de la tribu des Mbuti, au Congo. Alors qu'il revient de la chasse à l'éléphant, la Force publique (FP) de Leopold II attaque son village, tuant tous les membres de son clan parmi lesquels sa femme et ses deux enfants. Réduit en esclavage puis exhibé aux USA, il se suicidera en 1916 d'une balle de revolver, en réalisant que son retour au Congo est de plus en plus difficile, voire impossible.
La Petite Capeline
Les gens l'appelaient « Petite Capeline ». À l'été 1881, la gamine est enlevée, avec dix personnes de son peuple. Elle est morte d'une pneumonie au Jardin d'acclimatation, le 30 septembre 1881, quelques jours après son arrivée. « Petite fille fuégienne de 2 ans et demi, née à l'île L'Hermite (Terre de Feu), décédée hier à deux heures et demie du soir à Neuilly. Sans autre renseignement. », note Monsieur le Maire.
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Naissance des zoos humains : parmi les "freaks shows"...

La monstration de personnes physiquement considérées comme différentes ou inhabituelles a une longue histoire. À l’époque médiévale et au début de l’époque moderne, les personnes qui avaient l’air différentes – avec, par exemple, des malformations congénitales – étaient considérées comme «monstrueuses» et attiraient beaucoup d’attention. Une grande partie de cette attention était malveillante ; ils étaient au mieux ridiculisés, au pire considérés comme possédés ou démoniaques. Pendant longtemps, les personnes handicapées ont été utilisées comme divertissement : le «bouffon de la cour» de petite taille en est un excellent exemple. Au cours des 18ème et 19ème siècles, les personnes considérées comme différentes, en particulier celles ayant un handicap physique, ont commencé à être montrées plus systématiquement dans des lieux prévus pour ça en Grande-Bretagne et aux États-Unis. À partir des années 1840, le mot «freak» (abréviation de «freak of nature») est entré dans l’usage populaire. Dès lors, ces expositions ou performances ont été ouvertement discutées et annoncées comme des «freak shows». 

C’est au sein de ces Freak Shows que les premiers individus issus des colonies seront exposés. La Vénus Hottentote et Krao en sont de bons exemples et, toutes deux, elles ont été présentées comme des étapes intermédiaires entre l’homme et le singe. Pourquoi ça intéressait les gens, au début du XIXème siècle ? À cause d’une théorie scientifique qui a changé notre rapport à l’humanité. 

À la recherche du "chaînon manquant", ou l'origine d'une hiérarchie des races

À l'époque où Krao était exposée, l'Europe était prise dans une controverse entourant l'affirmation de Charles Darwin selon laquelle les êtres humains avaient évolué à partir d'autres espèces. Beaucoup ont été choqués par ses découvertes et ont refusé de croire en la théorie de l'évolution. C'est ce qui lui valait ce genre de caricatures. 
De plus, l'incapacité de Darwin à identifier une étape évolutive exacte entre l'humain et l'orang-outan a conduit à beaucoup de scepticisme sur l'ensemble de la théorie évolutionniste et a suscité beaucoup d'intérêt du public quant à l'endroit où pourrait se trouver ce soi-disant chaînon manquant.

Le fait que Farini ait pu puiser dans cette préoccupation d’actualité dans la façon dont il a commercialisé Krao en dit long sur ses compétences en tant que showman. 

Cet angle « scientifique » a été repris par la presse. Décrivant l’exposition de Krao, Sporting and Dramatic News rapporte, le 6 janvier 1883 : « There stood the great Farini; he had done with an agent, and a tourist ticket, in a few months more than poor Darwin had achieved “with the aid of all the animal world” in a lifetime« .

C’est à dire : «Là se tenait le grand Farini ; il avait fait avec un agent et un billet de touriste, en quelques mois plus que ce que le pauvre Darwin n’avait réalisé «avec l’aide de tout le monde animal» dans sa vie. »

C'est à partir de ce type d'exhibitions – Krao, la Vénus Hottentote, mais aussi Julia Pastrana, – et des travaux de la phrénologie (pseudo-science dont les allégations ont été démenties depuis) que la théorie des "quatre races humaines", le racisme scientifique, fait son chemin dans l'imaginaire européen.
“Les quatre races d'hommes", illustration issue du "Tour de la France par deux enfants", un manuel scolaire d'apprentissage de la lecture écrit par Augustine Fouillée (née Tuillerie), publié sous le pseudonyme de G. Bruno en 1877. Le livre sera édité plus de 400 fois et utilisé jusque dans les années 1950. Autant dire que les français ont eu l'occasion de s'instruire...

Quelques personnages

La Vénus Hottentote
Swatche Baartman (1788-1815), femme khoïsan, esclave en Afrique du Sud, est emmenée en Europe et présentée partout, en cage, nue ou presque. Son anatomie étonnante en fera une star auprès des curieux et des scientifiques – et une mine d'or pour ses exploiteurs. Elle sombre dans l'alcoolisme après avoir été prostituée, et meurt d'une pneumonie.
La femme-singe
Julia Pastrana (1834-1860) a été plus longtemps exhibée morte que vivante. Theodore Lent l'aurait acheté à sa mère dans le but de l'exhiber en public. Par la suite, Julia put apprendre à chanter, à danser et à s'exprimer dans trois langues, à l'écrit et à l'oral. Elle fut artiste et se produisit toute sa vie. Quand elle mourut, Lent fit empailler son corps et continua à le montrer dans un costume qu'elle portait vivante. Le le gouvernement norvégien n'interdit cette exhibition que dans les années 1970.
Le chaînon manquant
Krao Farini (1876-1926) est une est une femme atteinte d'hypertrichose (syndrome hormonal qui augmente la pilosité), exhibée dans les pays occidentaux par un homme de spectacle surnommé le ‘The Great Farini’ (William Leonard Hunt). On ignore exactement comment Farini l'a trouvée, mais il l'adopte et l'éduque, et l'exhibe toute sa vie durant.
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Notes et bibliographie
À lire

Le site Internet du Groupe de Recherche ACHAC sur les Zoos Humains.

Un article dans 7sur7, sur l’exposition universelle de Bruxelles de 1958, pour laquelle on a construit l’Atomium, et dans laquelle il restait encore un zoo humain… 

À voir

Le film “Sauvages : au cœur des zoos humains”.

La Playlist Youtube du Groupe de Recherche ACHAC sur les Zoos Humains.