Dans les politiques d’encadrement de l’immigration, on perçoit les effets qu’a eu, et qu’a toujours pour partie, le racisme qui s’est ancré dans la pensée des européens au fil des « découvertes », colonisations et visites de zoos humains.
L’accueil réservé aux étrangers, que pourtant nos pays avaient appelés, recrutés, déplacés… a parfois été glacial : certaines espaces leur ont été interdits ; certains sobriquets leur ont été réservés, certaines insultes même.
La Belgique comme la France ont favorisé l’immigration aux périodes où elles en avaient besoin, et ont fermé leurs frontières lorsqu’elles le souhaitaient. [voir : MigrationS]
Pire, en France « c’est le pouvoir colonial qui a imposé le recrutement de centaines de milliers d’hommes, travailleurs et soldats, puis renvoyé, manu militari, ceux qui, après la victoire, étaient devenus indésirables. Il a puisé et refoulé les travailleurs en fonction de la conjoncture économique. »
En Belgique, on a surtout été chercher des travailleurs en Italie, puis en Tunisie et au Maroc ; les Congolais ont été moins sollicités pour l’effort de guerre ou le remplacement des Belges dans les mines. Par ailleurs, on a évité de parquer les communautés dans des zones HLM construites pour ça (en France, on appelle ça la Zone, ou des Ghettos). Du coup, l’intégration pose moins de problèmes dans notre pays – mais bien sûr qu’elle en pose.
En zieutant sur nos voisins, on comprend mieux ce qui se joue insidieusement chez nous.
On peut donc dire que la colonisation « a posé la population dominée non seulement comme une nationalité différente, mais comme une race différente »((Liauzu Claude. Immigration, colonisation et racisme : pour une histoire liée. In: Hommes et Migrations, n°1228, Novembre- décembre 2000. L’héritage colonial, un trou de mémoire. p. 7)) : celle des gens qu’on peut déplacer à souhait, à qui on peut imposer des horaires et conditions de travail plus durs pour des salaires moindres… En un mot, qu’on peut maltraiter. Pourquoi ? Toujours pour les mêmes raisons, au fond : il·le·s appartiennent à une race plus proche des bêtes que des hommes, sont des sous-hommes, moins évolué·e·s…
Ce discours raciste, de moins en moins assumé, se cache derrière des arguments idéologiques et religieux, ou culturalistes. Mais on perçoit bien les discriminations racistes lorsqu’on prête attention aux nombreux signes qui persistent.
Par exemple la surveillance dont les populations immigrées du Sud de la Méditerranée ont fait l’objet : « Encartée, fichée, surveillée par des services spécialisés, cette population est soumise à une surveillance étroite, beaucoup plus serrée et toute-puissante que celle des étrangers provenant d’Europe dans la même période »((Liauzu Claude. Immigration, colonisation et racisme : pour une histoire liée. In: Hommes et Migrations, n°1228, Novembre- décembre 2000. L’héritage colonial, un trou de mémoire. p.9)).
C’est ainsi que les immigrés africains et nord-africains ne sont bien souvent ni tout-à-fait européens (Belges, Français…), ni tout-à-fait blédards (Marocains, Algériens, Camerounais, Sénégalais, Congolais…).
C’est donc, selon l’historien, du rôle que l’on fait jouer aux immigrés dans nos sociétés, du peu de place qu’on leur laisse, que naissent les tensions, les émeutes, les vandalismes : « Ce qui domine dans les générations postérieures à la guerre, c’est une situation d’amnésie, c’est l’image dévalorisée du père, chair à canon ou à usine. Le risque est que cette guerre inachevée se répète, à la manière d’une parodie dérisoire et négative, dans les affrontements entre policiers et « jeunes des banlieues », dans ces émeutes urbaines qui constituent une originalité française à l’échelle européenne. L’espace de l’intégration – et des tensions à travers lesquelles elle se joue – n’est plus d’abord l’entreprise, comme hier, mais la ville et sa périphérie ».
Et dans notre monde où les problèmes qui nous touchent ont des causes qui nous dépassent de très loin, « on conçoit que l’opinion [= les gens] soit tentée de traiter tous les problèmes en termes ethniques, de les imputer à une population particulière. Il n’est pas difficile non plus de comprendre que la ségrégation et la stigmatisation suscitent des conduites d’exclusion et de révolte de la part de ceux qui en sont victimes »((Liauzu Claude. Immigration, colonisation et racisme : pour une histoire liée. In: Hommes et Migrations, n°1228, Novembre- décembre 2000. L’héritage colonial, un trou de mémoire. p.14)).