Introduction à la vérité selon Protagoras

« L’homme-mesure » de M-A. Gavray

L’homme est la mesure de toute chose, de celles qui sont au sens où elles sont, de celles qui ne sont pas au sens où elles ne sont pas (B 1 DK) 

L’homme serait la mesure de la valeur des choses et des hommes. Selon Protagoras, l’homme décide par exemple de la valeur qu’il attribue à un autre, sous la forme d’un salaire, en témoignage de la qualité qu’il lui reconnait. 

Or ce principe va plus loin, puisque l’homme attribue également une valeur aux choses. Cela signifie soit qu’une chose n’a en soi aucune qualité (le vent n’est ni chaud ni froid), car la qualité existe seulement pour un individu déterminé ; soit que la chose possède les deux qualités contraires en même temps, chacune se manifestant en fonction de l’individu. 

(…)

De quoi l’homme est-il la mesure? A quoi s’étend-elle et quel type d’opération implique-t-elle? Un fragment offre quelques indices : 

Au sujet des dieux, je ne peux savoir ni qu’ils sont, ni quels ils sont quant à leur aspect. Car beaucoup d’obstacles empêchent de le savoir : l’obscurité et la brièveté de la vie humaine. 

(…) Il est impossible de savoir quoi que ce soit sur les dieux, qu’il s’agisse de leur existence, de leur non existence ou de leur nature. Si l’objet excède les possibilités de l’expérience humaine, il faut suspendre le jugement, que ce soit sur l’existence ou sur l’attribution d’un caractère quelconque. 

Ces fragments présentent une similitude formelle. Celui sur les dieux distingue trois éléments : l’être, le non être et l’aspect. Étant donné que l’homme ne fait jamais l’expérience certaine du divin, il n’est pas mesure de ce q’il est et ne peut pas mesurer s’il est. En revanche, il peut se prononcer sur l’être et le non être de ce qui appartient à son champ empirique. Par conséquent, la mesure des choses couvre bien le seul domaine des objets de l’expérience humaine. 

Placer l’homme au centre de l’attention crée une révolution, tant par rapport à la tradition épique que philosophique. Protagoras arrache la vérité à une référence extérieure, détenue par les dieux ou par un principe dont l’homme ne ferait jamais l’expérience directe et complète. Il limite le champ de la connaissance, de l’action et de la réflexion humaine à ce qui se situe à la portée de chacun, écartant du rang de la mesure la spéculation autour de l’existence et de la nature d’une réalité en soi. 

Être la mesure de toutes choses consiste à leur attribuer une limite, une détermination. L’homme fait exister les choses du monde telles qu’elles lui apparaissent, avec telle quantité, telle qualité et telle valeur de vérité. En tant qu’individu fini soumis à la temporalité, il possède une mesure qui lui est toujours propre, au moment où elle lui survient. Par conséquent, rien ne garantit que le monde apparaisse identique à tous les hommes singuliers, ni qu’il existe une vérité ou un principe. 

En ce sens, Protagoras est le fondateur du relativisme : en attribuant l’origine de la vérité aux individus, aux groupes humains ou à l’humanité, il supprime l’idée d’un centre de référence qui dépasse l’homme. Il propose donc une théorie de la vérité qui tient compte de l’adéquation à la situation. Pour lui, le savant n’est plus celui qui atteint la vérité, puisque tout le monde est toujours dans le vrai du fait d’être mesure, mais bien celui qui est capable d’améliorer la disposition d’un autre, qu’il s’agisse d’un autre individu (comme le médecin qui soigne un patient) ou d’une cité (les lois). Cette théorie de la connaissance se donne comme entièrement démocratique, au sens où elle repose sur les seuls hommes, quels qu’ils soient, la possibilité leur étant laissée de proposer et de promouvoir les améliorations qui conviendront le mieux à leurs yeux. 

Explications sur Protagoras :

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