Auto-défense – Elsa Dorlin

Concept

Elsa Dorlin utilise le concept d’auto-défense pour éviter la question morale, stérile, qui domine concernant les événements qualifiés de violents.  

On qualifie souvent les faits de violents quand on veut les délégitimer, parce que la violence est vue comme illégitime d’avance : en recourant à des moyens violents pour se faire entendre, on devient un bourreau ; certaines personnes, même, n’ont pas besoin d’être violentes pour qu’on les considère comme telles.

Face à cette disqualification de leurs actes, les minorités physiquement opprimées recourent à une politisation du corps, via des moyens comme le ju jitsu ou encore le krav maga. 

La requalification des faits de « violence » en pratiques d’ « autodéfense » permet de voir les conflits sociaux sous un autre angle.

Autrice

Voyons ce qui permet à Dorlin de nous proposer cette façon décalée d’interroger la violence : 

Appui théorique

C’est en mobilisant la pensée de Hobbes, que Dorlin décale la focale. 

Hobbes et la conservation de soi

Elsa Dorlin se base sur un passage de l’ouvrage principal de Thomas Hobbes, le Léviathan, Chap. XIV1 pour expliciter ce qu’elle entend par « auto-défense ». C’est ce passage qui lui permet de légitimer le recours à la violence, comme moyen de conserver sa propre vie, à partir du moment où il ne parvient pas à obtenir la paix sans les « secours et avantages de la guerre » : 

À lire soi-même : 

Une loi de nature est un précepte, une règle générale, découverte par la raison, par laquelle il est interdit à un homme de faire ce qui détruit sa vie, ou lui enlève les moyens de la préserver, et d’omettre ce par quoi il pense qu’elle peut être le mieux préservée.

Car, quoique ceux qui parlent de ce sujet aient l’habitude de confondre droit et loi, il faut cependant les distinguer, parce que le droit consiste en la liberté de faire ou de s’abstenir, alors que la loi détermine et contraint à l’un des deux. Si bien que la loi et le droit diffèrent autant que l’obligation et la liberté qui, pour une seule et même chose, sont incompatibles.

Et parce que la condition de l’homme (…) est d’être dans un état de guerre de chacun contre chacun, situation où chacun est gouverné par sa propre raison, et qu’il n’y a rien dont il ne puisse faire usage dans ce qui peut l’aider à préserver sa vie contre ses ennemis, il s’ensuit que, dans un tel état, tout homme a un droit sur toute chose, même sur le corps d’un autre homme.

Et c’est pourquoi, aussi longtemps que ce droit naturel de tout homme sur toute chose perdure, aucun homme, si fort et si sage soit-il, ne peut être assuré de vivre le temps que la nature alloue ordinairement aux hommes.

Et par conséquent, c’est un précepte, une règle générale de la raison, que tout homme doit s’efforcer à la paix, aussi longtemps qu’il a l’espoir de l’obtenir, et, que, quand il ne parvient pas à l’obtenir, il peut rechercher et utiliser tous les secours et les avantages de la guerre.

La première partie de cette règle contient la première et fondamentale loi de nature, qui est de rechercher la paix et de s’y conformer. La seconde [contient] le résumé du droit de nature, qui est : par tous les moyens, nous pouvons nous défendre.

Hobbes, Léviathan, Chap. XIV, Editions Sirey, 1983. P.122

Lu par Ivan Morane pour l’émission Les Chemins de la Philosophie, d’Adèle Van Reth, sur la radio France Culture.

Voyons surtout ce que ce concept d’auto-défense permet à Dorlin de nous proposer comme façons de penser – donc d’agir : 

Effets pratiques

Action directe (non-)violente ?

Elsa Dorlin insiste sur le fait que la violence est perçue, même par des personnes célèbres pour leur pacifisme (Gandhi, Luther King ou Mandela par exemple) comme un moyen de l’action directe parmi d’autres, le seul possible quand tout le reste échoue. 

  1. Editions Sirey, 1983. P.122[]