Les démocraties représentatives (ou indirectes), de par leur fonctionnement – un peuple qui dispose du pouvoir souverain mais qui le délègue à des représentant·e·s en leur donnant le mandat, la mission, de prendre les meilleures décisions possibles –, se confrontent régulièrement au problème que constitue l’élection de ces représentant·e·s.
En Europe, nous parlons des politicien·ne·s et des partis politiques comme s’ils se situaient sur un « échiquier politique », on imagine la politique un peu comme l’image ci-dessous, les individus se situant dans l’espace en fonction de leurs idées sur différents sujets.
En Europe, on peut isoler quatre « clivages »1 qui ont structuré cet échiquier au fil de l’évolution de nos États.

Clivages
Le terme de clivage désigne ici une division profonde à l’intérieur d’une société, qui se traduit par des tensions persistantes, ainsi que par la création de groupes et de partis qui s’opposent les uns aux autres sur l’objet du conflit.
Un clivage est donc, par excellence, une réalité historique, qui apparaît à un moment et à un endroit donnés, et qui est susceptible d’évoluer, voire de disparaître.

En Europe, la période 1780-1830 a vu se produire à la fois une révolution politique, avec la disparition des institutions d’Ancien Régime et la formation de régimes constitutionnels et représentatifs consacrant des libertés individuelles, et une révolution industrielle, qui a entraîné des changements importants dans la vie économique et sociale.
C’est suite à cette double révolution que quatre grands clivages ont structuré la société et la vie politique de nombreux pays européens. Ces clivages sont les suivants :
Église - État
En novembre 1830, lorsqu’ont lieu les premières élections après la « révolution belge », les 200 députés élus sont pour moitié des libéraux, et pour moitié des catholiques.
Ces deux groupes, les catholiques et les libéraux, se sont alliés pendant la révolution, contre Guillaume 1er d’Orange2. Mais dès l’indépendance de la Belgique acquise, ils s’opposent sur ce qu’il faut en faire :
✝️ Les catholiques :
Veulent un rôle central pour l’Église dans la société.
Souhaitent contrôler l’éducation, qu’ils considèrent comme une mission religieuse.
Défendent des valeurs traditionnelles et conservatrices.
⚖️ Les libéraux :
Souhaitent limiter l’influence de l’Église dans la vie publique.
Veulent une éducation neutre et publique, contrôlée par l’État.
Défendent les libertés individuelles, la laïcité et des réformes progressistes.
L’école est un enjeu central de cette opposition, parce que s’y joue la formation des générations futures. La guerre scolaire aboutira au système que vous connaissez : il cohabite en Belgique des écoles officielles, organisées par l’État et dans lesquelles on n’inculque les idées d’aucune religion données (on les dit donc « neutres » et les élèves peuvent y choisir un cours de religion s’iels le veulent), et des écoles « libres », qui peuvent être liées à une confession religieuse donnée, et l’immense majorité d’entre elles sont catholiques, avec des cours de religion catholique imposés à toustes.
Les élections se font à l’époque en sélectionnant le nom d’une personne dans une liste, les idées soutenues par chacun étant connues par les électeurs (les femmes n’ont pas le droit de vote) par réputation.
Mais l’affrontement entre libéraux et catholiques résultera en la création, dès 1846, du Parti libéral. Face à la puissance de l’Église catholique et de ses soutiens, les libéraux ressentent le besoin de s’unir et de porter ensemble des messages plus clairs.
En 1884, face à la puissance gagnée par le parti libéral, les catholiques font la même chose en créant à leur tour le Parti catholique.
Possédants - Travailleurs
Les premières élections de la jeune Belgique, on l’a vu, sont organisées via un suffrage capacitaire (on vote parce qu’on est « quelqu’un », on a un statut, on est prêtre, officier, médecin, notaire…) et censitaire (on vote parce qu’on paie pour, on est bourgeois, on a de l’argent à consacrer à la vie politique).
Pour les premières, celles de novembre 1830, ça fait qu’une très petite partie de la population vote, moins même qu’à Athènes (vous vous souvenez du calcul qu’on a fait en classe, de 1 personne sur 25, 4% seulement ?) : le corps électoral (la totalité des gens qui votent) comprend alors seulement 46.000 votants dont seulement 30.000 prennent réellement part au scrutin (soit seulement 1% de l’ensemble de la population).
Les libéraux, comme les catholiques, sont des représentants des classes sociales les plus riches et éduquées du pays. Ce sont les possédants, ceux qui possèdent les richesses matérielle et, surtout, les moyens de production : les usines, les entreprises agricoles, les connaissances dont les autres ont besoin (droit, pharmacie, médecine…) pour vivre.
Face à cette situation dans laquelle le pouvoir politique est détenu par les plus fortunés, le début du XXème siècle voit se constituer, partout en Europe et singulièrement en Belgique, une mouvance des travailleurs et travailleuses. Moins éduqués, pauvres voire très pauvres, exploité·e·s par les possédants, iels s’organisent pour lutter contre l’ordre social qui les opprime et demander l’égalité de fait, le bonheur pour toustes grâce à la réduction du temps de travail, à la création de la sécurité sociale et à l’instauration des congés payés, la justice sociale, d’où le nom qui finira par s’imposer de socialisme. Et comme les partis libéral et catholique existent déjà, le Parti des Ouvriers Belges verra tout naturellement le jour dès les débuts, en 1885.
Plus radicales et radicaux, voyant bien que les privilégiés ne renonceraient à leurs avantages que contraints et forcés, certain·e·s iront jusqu’à se déclarer communistes, et réclamer la confiscation des richesses issues de l’héritage, et la nationalisation des moyens de production. Le Parti Communiste belge naît en 1921.
Centre - Périphérie
La Belgique a longtemps été dominée par les classes aisées, mais aussi par les francophones. Elle est traversée depuis ses débuts par des tensions internes entre ses différentes régions : principalement entre les Flamands (néerlandophones) et les Wallons (francophones). Ces tensions ont donné naissance, au fil du temps, à des mouvements nationalistes défendant les intérêts spécifiques de ces communautés.
Historiquement, le français était la langue de prestige, même en Flandre (dans l’administration, l’éducation…). Ce déséquilibre a provoqué une prise de conscience flamande au XIXe siècle : c’est le début du mouvement flamand, qui revendique l’égalité linguistique et la reconnaissance de la culture flamande. D’abord culturel et linguistique, il devient politique au XXème siècle. Naissent alors des partis comme Vlaamsch Nationaal Verbond (VNV), en 1930, un parti nationaliste flamand aux tendances autoritaires qui collaborera avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, puis Volksunie (VU), en 1970, parti modéré qui milite pour plus d’autonomie pour la Flandre et qui évoluera pour devenir l’actuelle NVA. En 1990, le Vlaams Blok, apparait, parti plus radical (devenu aujourd’hui le Vlaams Belang) qui réclame l’indépendance de la Flandre et défend des positions anti-immigration.
Le nationalisme wallon est moins fort que le nationalisme flamand, mais il a existé, par exemple dans les années 1960-70, lorsque certains wallons souhaitent se séparer de la Flandre, notamment à cause de divergences économiques (la Wallonie était alors en déclin industriel). Ou quand des partis comme le Rassemblement Wallon ont réclamé plus d’autonomie pour la Wallonie, voire son rattachement à la France (mais cela reste très marginal aujourd’hui).
Ainsi, les revendications régionalistes (périphérie) ont progressivement mis à mal l’union nationale et le gouvernement centralisé. Depuis les années 1970, le pays ne cesse de transférer des compétences vers les entités fédérées, et les revendications flamandes ne s’en sont trouvées que renforcées.
Productivisme - Antiproductivisme
Depuis la révolution industrielle au XVIIIème siècle au départ de l’Angleterre, on est entré dans un mode de vie économique basé sur l’exploitation maximale de toutes les ressources, afin de produire toujours plus, pour maximiser le profit des investisseurs. C’est ce qu’on appelle le capitalisme industriel, qui s’est globalisé avec les colonisations.
On vit donc dans un monde productiviste. Au début, ça a paru évident à presque tout le monde. Mais depuis la fin du XIXème siècle, les chercheurs en sciences du vivant et certains économistes ont commencé à alerter sur l’impossibilité, dans un monde aux ressources finies et pas toujours renouvelables, de chercher une croissance (de la production et des profits) infinie.
Dans les années 1970, avec la prise de conscience scientifique puis sociétale (notamment grâce aux crises pétrolières de 1973) des catastrophes climatiques à venir, de plus en plus de voix se sont élevées pour dénoncer le productivisme comme une idéologie néfaste, qui allait nous mener, collectivement, à notre perte. L’écologie politique est née de ce mouvement social, et des partis écologistes, antiproductivistes et soucieux de trouver un équilibre entre croissance et préservation de l’environnement, voire prônant la décroissance, sont nés dans tous les pays. En Belgique, c’est le cas d’Écolo, en 1980, qui existe toujours aujourd’hui.
- Cette proposition est issue des cahiers du CRISP qui, en collaboration avec la Fondation Roi Bauduin, publiait trois cahiers « Parler politique à l’école » en 2008. [↩]
Parce que entre 1815 et 1830, la Belgique fait partie du Royaume-Uni des Pays-Bas, dirigé par Guillaume Ier. Cette union est mal vécue par beaucoup de Belges, surtout en Belgique méridionale (future Belgique), à majorité catholique et francophone, parce que :
– Le roi est protestant et impose des réformes perçues comme hostiles aux catholiques.
– Les libéraux dénoncent le manque de libertés fondamentales (presse, expression, éducation).
– Le pouvoir est très centralisé aux mains des Néerlandais. [↩]