Sociétés contre l’État – Pierre Clastres

L'État est-il une nécessité ?

La question, ainsi formulée, peut vouloir dire plusieurs choses : Faut-il Nécessairement que les sociétés humaines s’organisent en prenant la forme d’un État ? Les humains ont-ils et elles besoin d’un État ? L’État est-il inéluctable ?

En effet, qu’entend-on par nécessité ? Et qu’entend-on par État ? D’abord, qu’est-ce que c’est que ça, un État ?

Cette question est donc tout un problème. Pour le résoudre, on commencera par définir l’État, puis on cherchera à voir si les humains ont besoin d’un État (et pourquoi). Enfin, on cherchera avec Pierre Clastres à savoir s’il existe des sociétés « sans » État, on si elles sont plutôt des sociétés « contre » l’État. 

Prêt·e pour ce cheminement vers une meilleure compréhension de l’État et des implications de ce modèle politique ? 

L'État

L’État est une personne morale qui représente un peuple sur un territoire fermé par des frontières, et sur lequel elle possède et exerce un pouvoir illimité (sauf par d’éventuels traités internationaux ou sa propre législation, à laquelle elle se soumet).

L’État est donc souverain et a quatre fonctions régaliennes :

  • Assurer la sécurité extérieure par la diplomatie et la défense du territoire ;
  • Assurer la sécurité intérieure et le maintien de l’ordre public avec, notamment, des forces de police ;
  • Définir le droit et rendre la justice ;
  • Définir la souveraineté économique et financière, notamment en émettant de la monnaie.

Alors, pensez-vous qu’il est impossible pour les humains de vivre sans État ? Que l’État est non seulement utile mais même nécessaire

Existe-t-il des sociétés "sans" État ?

Lorsque les européens explorateurs des XVIè-XIXè siècles rencontraient des peuples qui leur étaient jusque là inconnus, ils cherchaient chez eux la réplique de ce qu’eux-mêmes connaissaient, c’est à dire un État hiérarchisé.

« Dès lors que les Blancs eurent constaté qu’il n’existait aucune forme de pouvoir au sein des sociétés indiennes, ou que, s’ils découvraient des chefs, ceux-ci ne commandaient pas, ils en déduisirent, persuadés qu’une société devait invariablement s’établir sur un modèle comprenant des dominants et des dominés, que les Indiens étaient incapables de se gouverner. Convaincus que le modèle de société le plus évolué ne pouvait résider que dans l’établissement de l’État, ils se servirent de ce prétexte pour définir ces peuples de sauvages et les placèrent sous tutelle durant le demi-siècle qui suivit la création des États-Unis. Les Indiens, comme toutes les sociétés que nous appel[i]ons primitives, des Inuits aux Pygmées en passant par les Piaroas du Venezuela, ont pour point commun d’être des sociétés sans État. […] ce n’est pas une immaturité qui les empêcherait de se structurer en État, mais au contraire un refus délibéré de l’État qui repose sur l’assurance qu’une vie communautaire et exempte d’autorité demeure un idéal de société. C’est par ailleurs ce que de grands penseurs historiques, du taoïsme au bouddhisme en passant par les Cyniques, les Stoïciens ou les Hussites, ont très largement théorisé depuis la nuit des temps. »1

  1. David Vandermeulen, Avant-Propos, in Véronique Bergen et Winshluss, L’Anarchie, Bruxelles, Le Lombard, coll. La Petite Bédéthèque des Savoirs, 2019, pp. 9-10. []