Traite négrière

Peut-on vendre des humains comme on vend des meubles ou des animaux ?

L’esclavage ne date pas d’hier. Mais il est significatif de voir à quel point les généralités sur la nature humaine, et les références antiques (Aristote, Sénèque, Paul) permettent d’occulter la question raciale et la spécificité de la traite atlantique.

Aristote : esclavage naturel ou légal ?

Que par nature les uns soient libres et les autres esclaves, c’est manifeste, et pour ceux-ci la condition d’esclave est avantageuse et juste.

    Mais que ceux qui prétendent le contraire aient d’une certaine manière raison, ce n’est pas difficile à voir. Car le fait d’être esclave et l’esclave se disent en deux sens. Il existe aussi, en effet, une sorte d’esclave et une manière d’être esclave selon la loi. La loi en question, en effet, est une sorte d’accord général en vertu duquel les prises de guerre appartiennent aux vainqueurs. Or beaucoup de gens dans les milieux juridiques contestent que cela soit juste comme ils intenteraient à un orateur des poursuites pour illégalité, parce qu’il leur semble monstrueux que, parce qu’on a les moyens de l’emporter par la force, on fasse esclave et on soumette la victime de cette violence. Cette thèse a ses partisans tout comme la première, même parmi les sages.

    La cause de cette divergence, qui fait aussi que les arguments des deux camps ont un point commun, c’est que, d’une certaine façon, toute excellence qui se trouve en avoir les moyens peut tout à fait employer la force, et que le vainqueur l’emporte toujours par quelque bien, de sorte qu’il semble que la force ne va pas sans excellence, et que c’est seulement sur la notion du juste que porte la divergence ; et ce du fait que certains sont d’avis que le juste c’est la bienveillance à l’égard d’autrui, alors que pour d’autres ce même juste c’est que le plus fort ait le pouvoir. Voilà pourquoi, à part les thèses que nous venons d’exposer, les autres thèses ne sont ni solides ni persuasives : c’est que celles-ci refusent au meilleur selon la vertu le droit de commander et d’être le maître.

Aristote, Les politiques, I 5-6, 1254-b-1255-b

Le « Code Noir »

Le Code noir est un recueil d’une soixantaine d’articles qui a été publié en plusieurs fois en 1685. Il rassemble toutes les dispositions réglant la vie des esclaves noirs dans les colonies françaises. Il a été écrit afin de régler les problèmes posés par l’esclavage dans les colonies : la supériorité numérique (deux Noirs pour un Blanc), les attentats et soulèvements des « nègres marrons », l’indifférence des colons à l’égard de l’éducation religieuse de leurs esclaves, et les rapports sexuels maîtres-esclaves. 

Couverture du Code Noir, 1685

La priorité est d’empêcher les soulèvements des esclaves avec le Code noir et d’assurer ainsi un bon approvisionnement de la métropole en produits tropicaux.

Les maîtres pouvaient châtier les esclaves si ils avaient une raison valable. Dans le Code noir il est écrit que les maîtres avaient le droit de les fouetter et de les enchaîner si ils jugeaient bon de le faire mais ils ne devaient ni les torturer ni les mutiler sans motif valable. Malheureusement les maîtres ne le respectaient pas : ils les marquaient au fer rouge, ils les émasculaient, ils étaient mutilés. Si ils étaient accusés de marronnage ils avaient un collier de cou (aux longs bouts recourbés) qui les empęchaient d’essayer de s’enfuir à nouveau. Et ils pouvaient ętre tués (si il y avait violence envers son maître, vol et si les esclaves se regroupaient).

Les esclaves qui étaient dans les îles devaient ętre baptisés et instruits dans la religion de leur maîtres (catholique, apostolique et romaine). Les maîtres devaient avertir au plus tôt les gouverneurs et intendants de l’arrivée des nouveaux esclaves sous peine d’amende.

Dans le Code noir, l’esclave est présenté comme un « meuble » : le propriétaire pouvait les vendre à son gré, comme un animal. Comme l’affirme l’article du Code noir : « Article 44 : Déclarons les esclaves ętre meuble, et comme tel entrer en la communauté, n’avoir point de suite par hypothèque, se partager également entre cohéritiers[…] »

Pour ce qui est des droits des esclaves, ils n’en n’avaient pas : donc ils ne pouvaient pas porter plainte ou quoi que ce soit d’autre. Les maîtres pouvaient affranchir les esclaves mais cela était très rare car les acheteurs n’achetaient pas les esclaves pour leur rendre leur liberté (sauf quelques exceptions).

Condorcet « ami » des esclaves noirs

Mes amis,

Quoique je ne sois pas de la même couleur que vous, je vous ai toujours regardés comme mes frères. La nature vous a formés pour avoir le même esprit, la même raison, les mêmes vertus que les Blancs. Je ne parle ici que de ceux d’Europe, car pour les Blancs des colonies, je ne vous fais pas l’injure de les comparer à vous ; je sais combien de fois votre fidélité, votre probité, votre courage ont fait rougir vos maîtres. Si on allait chercher un homme dans les îles de l’Amérique, ce ne serait point parmi les gens de chair blanche qu’on le trouverait.

Votre suffrage ne procure point de place dans les colonies ; votre protection ne fait point obtenir de pensions ; vous n’avez pas de quoi soudoyer des avocats : il n’est donc pas étonnant que vos maîtres trouvent plus de gens qui se déshonorent en défendant leur cause, que vous n’en avez trouvés qui se soient honorés en défendant la vôtre. Il y a même des pays où ceux qui voudraient écrire en votre faveur n’en auraient point la liberté.

Tous ceux qui se sont enrichis dans les îles aux dépens de vos travaux et de vos souffrances, ont, à leur retour, le droit de vous insulter dans des libelles calomnieux ; mais il n’est point permis de leur répondre. Telle est l’idée que vos maîtres ont de la bonté de leur droit ; telle est la conscience qu’ils ont de leur humanité à votre égard. Mais cette injustice n’a été pour moi qu’une raison de plus pour prendre, dans un pays libre, la défense de la liberté des hommes. Je sais que vous ne connaîtrez jamais cet ouvrage, et que la douceur d’être béni par vous me sera toujours refusée. Mais j’aurai satisfait mon cœur déchiré par le spectacle de vos maux, soulevé par l’insolence absurde des sophismes de vos tyrans. Je n’emploierai point l’éloquence, mais la raison ; je parlerai, non des intérêts du commerce, mais des lois de la justice.

Vos tyrans me reprocheront de ne dire que des choses communes et de n’avoir que des idées chimériques : en effet, rien n’est plus commun que les maximes de l’humanité et la justice ; rien n’est plus chimérique que de proposer aux hommes d’y conformer leur conduite.

CONDORCET, Épître dédicatoire aux nègres esclaves, 1781

Ce texte fut publié en tête de la brochure intitulée Réflexions sur l’esclavage des Nègres, par M. Schwartz, pasteur du Saint Evangile à Bienne, membre de la société économique de B *** [Berne], A Neufchatel, 1781, IV-XVIII-86 pages. Seconde édition en 1788.

Condorcet avait donc pris un pseudonyme pour publier cette critique de l’esclavage et de ses fondements raciaux et économiques. Notons que « Schwartz » veut dire « noir » en allemand, langue supposée être celle du pasteur en question. La publication à Neufchâtel, réelle ou fictive, permet de parler de l’extérieur du royaume de France, à partir d’un « pays libre », comme le souligne le texte. Pourtant, dès 1781, date de la première édition de ce manifeste antiesclavagiste, le public français sut qui en était l’auteur : l’illustre marquis de Condorcet, alors secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, membre de l’Académie française, correspondant de la plupart des Académie d’Europe et, depuis 1775, Directeur général des Monnaies. En 1788, au moment de la seconde édition du texte, Condorcet venait de fonder à Paris, avec Brissot, Clavière et Mirabeau, la Société des Amis des Noirs, première organisation antiesclavagiste française.

Retour à : 2.2.3. Violence et humanisation > Aux racines du racisme