Concept
On est souvent tenté·e·s de considérer que les décisions politiques doivent reposer sur la raison. C’est ce que dit Platon dans La République quand il propose que ça soient les philosophes qui gouvernent.
Pour le philosophe Platon, la démocratie s’appuie sur la bêtise du peuple. En effet, la préférence pour ce régime a pour base l’idée que le peuple puisse prendre de bonnes décisions. Or, la connaissance du vrai et l’expérience sont pour cela nécessaires. Et pour Platon, le peuple manque de ces deux qualités : il est animé par l’apparence, le préjugé et la passion.
Du coup, Platon dit que c’est aux savants, qui font usage de leur raison et grâce à cela possèdent la connaissance du vrai, de guider le peuple en détenant le pouvoir politique. Il prône un régime politique technocrate (du grec tekhnê, art, métier, et kratos, pouvoir, autorité), c’est à dire dans lequel ce sont les techniciens, spécialistes, experts, qui gouvernent.
Petits problèmes autour du concept de technocratie
Commençons par entendre Bruno David((extrait de l’émission “l’invité des matins” sur France Culture du 7 octobre 2020 : https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-des-matins/ce-que-le-covid-fait-a-la-science)) nous exposer ses inquiétudes par rapport à la confusion des registres scientifique, intuitif, démocratique et idéologique :
Nous avons déjà distingué soigneusement la science des croyances (registre idéologique), et des ressentis (registre intuitif). Nous allons maintenant nous intéresser de plus près à la distinction entre un énoncé scientifique et l’ « avis du plus grand nombre » (registre démocratique).
La raison pour laquelle on s’inquiète de la place de la science en démocratie tient à la difficulté de choisir comment la vie publique doit fonctionner, entre deux extrêmes également dangereux pour la raison humaine :
Deux paralogismes en tension
Un paralogisme est un raisonnement faux qui apparaît comme valide, notamment à son auteur qui est souvent de bonne foi.
La "Raison de la majorité"
La forme de ce raisonnement est simple : c’est de prétendre que quelque chose est vrai parce que la majorité des gens le croit. On peut faire ça de bien des manières :
– Tout le monde le sait, les épinards c’est bourré de fer : on devient fort comme Popeye.
– Plus de 20 000 utilisateurs convaincus !
Mais quoi qu’il en soit, la majorité peut se tromper (comme sur le coup du fer dans les épinards), et quand on cherche à savoir ce qui est vrai, il vaut souvent mieux questionner une seule personne qui a étudié la question que beaucoup de personnes qui n’y connaissent rien.
Il faut donc se méfier des préjugés de l’opinion commune, mais à trop se fier aux savants, on risque de donner dans un panneau qui n’est pas moins risqué.
L' "argument d'autorité"
L’argument d’autorité, c’est prétendre que quelque chose est vrai parce que telle personne, considérée comme une autorité, l’a dit. Citer un·e auteur·rice ou un·e scientifique, tel ou telle politicien·ne… Ou écouter ce que dit untel parce qu’il a un prix Nobel, par exemple…
L’appel à l’autorité des « savants » est parfois légitime : nous ne disposons pas d’assez de temps pour examiner soigneusement chaque idée sur l’immense variété des sujets qui peuvent nous intéresser, parfois il vaut mieux s’appuyer sur la science de ceux qui se sont intéressés de près à ce dont on parle.
Mais il y a trois cas ou l’on doit soupçonner le recours à l’autorité :
- Quand l’expertise présumée est fragile, par exemple quand il n’est pas raisonnable de penser qu’il existe une expertise dans ce domaine ou qu’elle n’autorise pas l’assurance ou la généralité avec laquelle sont avancées les thèses de l’expert.
- Quand l’expert a lui-même des intérêts engagés dans ce dont il parle et qu’on peut penser que ces intérêts (cachés le plus souvent) orientent son jugement.
- Quand l’expert se prononce sur un sujet en-dehors de son champs d’expertise.
Il faut donc bien s’assurer que les autorités sur lesquelles on s’appuie ne sont pas en carton.
Une fois trouvées les autorités compétentes, est-ce qu’on ne leur déléguerait pas, alors, tout le pouvoir politique ? Si c’étaient les savants qui décidaient de tout, est-ce qu’on n’aurait pas des décisions plus rationnelles ?