Genre

Faut-il maintenir ou détruire les rôles sociaux de genre ?

Nous sommes né·e·s dans une société dont la culture divise le monde en deux : celui des hommes, et celui des femmes. Les couleurs (rose ou bleu), les parfums (vanille ou citron), les jouets (barbie ou ken), les métiers (ingénieur ou infirmière), les disciplines scolaires (maths ou français)… sont distribués en fonction du sexe des enfants. Du sexe, vraiment ?

Table des matières

Courte histoire d'une notion

Dans les années 50, émerge un nouveau concept, qui va prendre beaucoup de place au fil du temps : le genre.

Le mot « genre » vient du latin : genus, devenu en ancien français « gendre ». Le mot a d’abord le sens de « catégorie, type, espèce » puis le sens de « sexe ». Le mot a longtemps été majoritairement associé au genre grammatical. Le terme de « genre » (gender) a été employé pour la première fois avec un sens non grammatical dans une publication scientifique de 1955 par le psychologue et sexologue John Money, dans un article où il introduit le concept de « rôle de genre » (gender role). 

Le concept de genre servait alors à distinguer ce qui dans la division entre les sexes relevait du psychologique ou du social et non du biologique.

La notion de genre a ensuite été développée très largement sous l’impulsion des sciences sociales à partir des années 1970. La dichotomie biologique/social, comme si le social venait se surajouter au biologique, a été remise en cause par les études sur le genre (gender studies), qui rassemblent des recherches issues de nombreux domaines : philosophie, anthropologie, sociologie, histoire, économie, psychologie, etc.​

Donc, notre société est duelle, binaire : elle sépare dès la naissance les individus en deux groupes étanches, imperméables. On est d’entrée de jeu placé·e dans l’un de ces groupes, on est soit l’un, soit l’autre. On s’habitue, au fil des jours, à jouer le rôle qui est attendu de nous et, petit à petit, on finit par croire que c’est nous, ce rôle : 

« en s’incorporant dans les corps, les usages sociaux et culturels deviennent indissociables de l’être et prennent alors, de manière paradoxale, une apparence de naturel. Et cela d’autant plus aisément qu’ils font écho à des traits biologiques tels que la différence de sexe. L’incorporation du genre dans les corps, par des façons de se tenir, les parures, les vêtements, la coiffure, etc. en fait des expressions «naturelles» de la féminité ou de la masculinité. Parce qu’il fonctionne comme un «langage de l’identité naturelle» (Bourdieu, 1977), le corps naturalise, et donc légitime, les identités et les distinctions sociales. Il peut dès lors devenir un instrument de pouvoir au service de dominations politiques, sociales ou sexuelles (P. Bourdieu, 1998 , Détrez, 2002) ».((Christine Détrez : « Il était une fois le corps… », URL : http://ses.ens-lyon.fr/articles/christine-detrez-il-etait-une-fois-le-corps–118371))

Voyons voir quelles caractéristiques vous possédez… et si votre identité de genre correspond à ce que la société attend de quelqu’un.e “comme vous”. Répondez au petit quizz ci-dessous :

Exercice : une personnalité genrée ?

Vous avez répondu au petit test précédent : il vient du tableau ci-dessous, qui récapitule la position de Talcott Parsons (1902-1979).

Millet contre Parsons

1. Parsons

Le tableau ci-contre est tiré des conceptions de Talcott Parsons (1902-1979), qui fut professeur à Harvard. Il est une figure éminente de la sociologie nord-américaine ; il a tout à la fois influencé de multiples recherches, bénéficié d’une large notoriété nationale et internationale et suscité un nombre considérable de mises en cause dont certaines peuvent paraître rédhibitoires((= Qui constitue un défaut, un empêchement absolu, radical.)).

Dans notamment Family, Socialization and Interaction Process (1955) et Social Structure and Personality (1964), il développe une analyse fonctionnaliste de la famille. Le groupe domestique, la famille nucléaire (deux parents et leurs enfants), a selon lui pour mission d’assurer la socialisation des enfants et se répartit en conséquence les « rôles » qui permettront d’assurer le « maintien » du « sous-système familial » : rôle instrumental [I] pour l’homme, expressif [E] pour la femme. 

La socialisation des enfants visera l’acquisition par ceux-ci d’un comportement adéquat au rôle qui leur sera dévolu : 

Une petite fille sera encouragée à être calme, dévouée, attentive aux autres [les items marqués d’un E dans la première colonne et d’un + dans la seconde], et un petit garçon à être travailleur, ambitieux, compétitif [les items parqués d’un I dans la première colonne et d’un + dans la seconde]. 

À l’inverse, on les découragera (par des remarques désobligeantes, par des sermons, par le dégoût ou le désintérêt) d’être hésitants, pour les garçons [marqué d’un – dans la seconde colonne] et jalouse, pour les filles. 

2. Millet

Kate Millet (1934-2017), défend en 1970 sa thèse en études littéraires à l’université Columbia, à New-York. C’est sa thèse publiée qui la rend célèbre : Sexual Politics (ce titre sera traduit en français sous La Politique du mâle) analyse le pouvoir patriarcal à travers la littérature occidentale. Cet essai, publié en tant que tel en 1970, est salué par la presse comme le premier livre féministe d’importance depuis la publication, en 1949, du Deuxième Sexe, de Simone de Beauvoir.

Millet s’y oppose à Parsons, que vous avez découvert ci-dessus, en dénonçant les normes de genre qu’il affectionne.

Lisez l’extrait ci-dessous de son livre :

Les cas de malformations génitales ayant eu pour conséquence une assignation erronée du genre à la naissance, qui ont été étudiés par le Centre d'identité générique de Californie, ont permis de découvrir qu'il est plus facile de changer – par la chirurgie – le sexe d'un adolescent mâle, dont l'identité générique [= de genre] se révèle contraire à l'assignation et au conditionnement générique reçus, que de détruire l'œuvre de plusieurs années d'éducation, qui ont réussi à rendre le sujet tempéramentalement [= en termes de tempérament] féminin dans ses gestes, son sens du moi, sa personnalité et ses intérêts.

Des études réalisées en Californie sous la direction de Stoller prouvent que l'identité générique (je suis un garçon, je suis une fille) est la première que l'être humain établisse. La première mais aussi la plus permanente et celle qui porte le plus loin.

Par la suite, Stoller affirme avec vigueur que le sexe est biologique, le genre psychologique et par conséquent culturel : "Le mot genre a des connotations psychologiques ou culturelles plutôt que biologiques. Si les termes qui conviennent au sexe sont mâle et femelle, ceux qui correspondent sont, pour le genre, masculin et féminin ; ces derniers peuvent être tout à fait indépendants du sexe (biologique)." Le genre a même un caractère tellement arbitraire qu'il peut être contraire à la psychologie : "(...) quoique l'appareil génital externe (pénis, testicules, scrotum) contribue au sens de la virilité, aucun ne lui est essentiel, même pas son ensemble. En l'absence de preuves complètes, je suis d'accord avec Money et les Hampton qui montrent, dans leur importante série de patients intersexués, que le rôle du genre est déterminé par des forces post-natales, sans rapport avec l'anatomie et la physiologie de l'appareil génital externe."

[...] Psychosexuellement (c'est à dire en termes masculin et féminin, par opposition à mâle et femelle), il n'y a pas de différenciation entre les sexes à la naissance. Par conséquent, la personnalité psychosexuelle est postnatale et acquise.

Vous pouvez aussi l’écouter et la voir, à certains moments, dans ce reportage sur les mouvements féministes de l’époque :

Exercice : (pas) touche à mes stéréotypes de genre !

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